L’autonomie numérique est devenue un enjeu central dans une société où la quasi-totalité des services essentiels, notamment administratifs, est dématérialisée. Elle ne se limite plus à la simple maîtrise des outils, mais englobe la capacité à s’informer, à développer ses compétences et à interagir de manière sécurisée et avec la juste distance critique dans un monde hyperconnecté. C’est ce que l’on appelle la littératie numérique. Cependant, les politiques publiques récentes dessinent une trajectoire préoccupante. La menace sur le dispositif Conseiller Numérique, le renforcement de France Services et l’encadrement strict via Aidant Connect soulèvent une question fondamentale : assiste-t-on à un glissement d’une ambition d’autonomisation des citoyens vers une logique d’assistance généralisée, le « faire à la place de » ? Cet article explore comment ces changements, motivés par des impératifs budgétaires, impactent non seulement les usagers mais aussi et surtout les professionnels de la relation à l’usager, dont le métier se trouve profondément bouleversé. Les métiers de la relation à l’usager percutés par la transition numérique Le véritable enjeu de l’inclusion numérique se situe à l’intersection des nouvelles technologies et des métiers traditionnels de l’aide. Les travailleurs sociaux et les agents d’accueil sont en première ligne, démunis face à une dématérialisation qui les transforme en simples exécutants de démarches en ligne, loin de leur mission d’accompagnement social. La stratégie a d’abord été de déléguer la formation vers l’autonomie numérique aux Conseillers Numériques. Malgré leur bilan positif, le succès de cette autonomisation reste relatif et ne couvre pas tous les besoins. Face à ce constat, certains territoires parmi les plus fragiles semblent réorienter leur stratégie vers le « faire à la place de », incarné par le modèle France Services et l’outil Aidant Connect. Or, cette approche crée une double tension : Si les travailleurs sociaux et agents d’accueil étaient mieux formés à l’aide administrative dans ce nouveau contexte numérique, ils pourraient retrouver du sens à leur mission. Ils assureraient l’accompagnement de premier niveau, tandis que les Conseillers Numériques se concentreraient sur leur cœur de métier : la médiation et la pédagogie vers l’autonomie numérique. La fin annoncée du Conseiller Numérique : un renoncement à l’autonomie numérique? Lancé en 2020, le dispositif Conseiller Numérique visait à déployer 4 000 accompagnants pour former les citoyens les plus éloignés du numérique. Le bilan est largement positif, avec un impact significatif sur la confiance et l’autonomie des usagers. Pourtant, le financement étatique est menacé d’une baisse tendancielle annoncé, ce qui pourrait faire chuter le nombre de postes à 1 500. En menaçant ce pilier de la formation, l’État envoie un signal contradictoire : il semble abandonner l’objectif d’autonomisation au profit d’une assistance immédiate, dont la charge retombera sur d’autres acteurs. France Services et Aidant Connect : la consécration du « faire à la place de » ? 1. France Services : un maillage renforcé, une mission floue Le refinancement du réseau France Services (2 800 guichets) confirme sa place de pilier de l’accès aux droits. Cependant, en priorisant la formation des agents à des outils comme Aidant Connect plutôt qu’à une véritable pédagogie du numérique, ces structures sont forcées à accomplir des tâches qui complexifient leur métier et allongent le temps d’accompagnement des usagers, avec un risque d’engorgement à terme. Le risque, en outre, est de créer une dépendance des usagers à ces guichets, transformant l’aide en assistanat et éloignant les agents de leur cœur de métier. 2. Aidant Connect : une fausse bonne solution ? Aidant Connect a été conçu pour sécuriser la réalisation de démarches pour le compte d’un usager. Si l’intention est louable, son application sur le terrain révèle des failles réelles. La procédure de mandat reste chronophage et, selon de nombreux retours, moins protectrice qu’espéré. De plus, ses critères d’éligibilité stricts excluent de nombreux acteurs (bénévoles, services civiques, personnes sous tutelle, structures privées), limitant son déploiement. En se focalisant sur cet outil, les agents publics sont poussés vers une posture d’exécutant technique, au détriment d’une approche d’accompagnement global et humain vers l’autonomie numérique. Réconcilier l’urgence et l’autonomie grâce à la formation Comprendre les freins pour mieux accompagner Avant même de parler de formation, il faut comprendre pourquoi certaines personnes évitent le numérique. Les freins sont nombreux et très humains : Résultat : beaucoup se découragent, repoussent le moment de s’y mettre, ou délèguent leurs démarches. Cela les rend dépendants et fragilise encore plus leur autonomie. Ainsi, la première tâche d’un aidant numérique est avant tout de lever ces freins. Plusieurs techniques existent à cet égard : psychologie positive, réassurance, maieutique, identification et actionnement des levers motivationnels. Des formats spécifiques de type « forum numérique » sont destinés précisément à lever ces freins psycho-sociaux. Transformer l’urgence en tremplin vers un parcours d’autonomie Souvent, c’est une situation urgente qui pousse une personne à chercher de l’aide : un document à remplir, une aide à demander, un compte à créer. Si l’on se contente de faire à sa place, le problème se répétera. Utiliser l’urgence comme une porte d’entrée vers un parcours structuré est la clef de l’émancipation de l’usager : Ainsi, une aide ponctuelle devient une opportunité d’apprentissage, et chaque petit pas mène à plus d’autonomie. Apprendre en faisant : la clef de l’émancipation On n’apprend pas à utiliser le numérique en écoutant un cours magistral ou en regardant quelqu’un faire à notre place. L’apprentissage devient durable quand on est acteur de son parcours. Chez Hypra, nous adoptons une approche inspirée de la maïeutique et des méthodes actives : poser des questions, guider pas à pas, amener la personne à trouver par elle-même la solution. Cette méthode développe la confiance, car chacun découvre qu’il est capable de réussir avec ses propres moyens. L’écoute active complète cette démarche. Elle permet de comprendre les craintes, de repérer les blocages parfois non exprimés, et de valoriser chaque petit progrès. C’est en étant entendu, reconnu et encouragé que l’on ose tester, se tromper, et recommencer. Notre formation donc des aidants numérique repose donc sur trois piliers : L’autonomie n’est pas seulement un savoir-faire technique. C’est aussi un savoir-être : retrouver confiance en soi,