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Pour une médiation numérique impactante

Comment construire une politique publique d’inclusion numérique qui autonomise efficacement 13 millions de Français en situation d’illectronisme?

Alors que la MedNum effectue de nombreuses propositions pour consolider la médiation numérique avec de nouveaux outils, dispositifs et financements, quelle efficacité de la politique publique actuelle?

Quel premier recul critique sur le plan de relance et ses 250 millions d’euros et 4000 Conseillers Numérique?

Quel bilan tirer du pilotage national s’appuyant sur la certification de compétences professionnelles? Comment bâtir une filière véritablement capacitante et inclusive?

I. Médiation Numérique : l’échec du titre professionnel. 

A) Des organismes de formation techno-centrés

Le plan de relance a confié la formation des Conseillers Numériques à plusieurs organismes de formation dispensant des formations techniques.

Notre expérience de jury d’examen auprès de plusieurs ces centres a conforté nos craintes sur le caractère techno-centré des formations.

Les sciences humaines sont encore loin…

Même si le titre professionnel prévoit l’enseignement de l’écoute active, de la pédagogie, de la connaissance de l’illectronisme, plus de 50% des candidats à l’examen ne savaient pas définir ou pratiquer l’écoute active ou ne pouvaient pas définir l’illectronisme et sa mesure, ni fournir des supports pédagogiques pour appuyer leur séance.

Ainsi, beaucoup de mises en situation ressemblaient à des démonstrations de fonctionnalités jargonnantes et techno-centrées. Des pratiques qui s’avèrent non-capacitantes mais qui peuvent aussi jouer un effet répulsif important vis-à-vis des illectronistes dont l’acceptation du numérique et son apprentissage restent un défi. 

Une capitalisation des compétences dans les centres de formation très incertaine

L’enseignement des centres de formation était souvent assuré par des techniciens, dans le pire des cas par des informaticiens.

Notre analyse de la politique de plusieurs centres montre qu’ils voient le plan de relance comme un “effet d’aubaine”. Ils n’envisagent pas de professionnaliser une fonction d’enseignant en médiation numérique attitrée. Une capitalisation à long-terme des compétences au sein de ces centres reste donc assez incertaine.

B) Des conditions d’octroi aléatoires du titre professionnel de médiateur numérique

La médiation numérique historique depuis les années 80 est en difficulté historique à développer des pratiques capacitantes, massifiantes et inclusives. Ceci souvent pour les mêmes raisons techno-centrées évoquées, ou alors pour des raisons de précarité liées à sa profession. Ce constat se duplique à la faveur des jurys d’examen assurés par des médiateurs numérique du canal historique. 

Des mises en situation réalisées de façon aléatoires

Notre expérience avec plusieurs autres jury a montré que les mises en situation pouvaient être réalisées de façon assez aléatoire. Les jurys sont souvent réticents à théâtraliser les situations d’illectronisme dans ce qu’elles ont de plus complexe à gérer.

Notre analyse tend donc à montrer que certaines mises en situation étaient impropres à juger de la posture des candidats en situation réelle.

Les entretiens techniques ne permettaient pas non plus d’évaluer toujours correctement les candidats, faute de questions axées sur les critères, au profit d’échanges plus informels, subjectifs et permissifs.

N’était-on pas dans ce moment là, en train de reproduire les caractéristiques d’une médiation numérique généreuse humainement, mais faiblement émancipatrice?

Un titre vidé de sa substance par l’État lui-même

L’État l’a lui même acté en supprimant les mises en situation et la “pédagogie par le faire” du titre professionnel.

De ce fait, le “faire faire” n’est plus aucunement évalué. Le titre ne permet plus en aucun cas de juger d’une pratique capacitante. L’examen se transforme en présentation à distance sur des attendus de posture pour les futurs Conseillers Numériques.

C) Le CCP 1 “Accompagner les publics vers l’autonomie numérique” élude certains sujets “coeur” de la médiation numérique.

Le titre professionnel de médiateur numérique reproduit en effet des écueil techno-centrés

L’évidement de la substance du titre professionnel répond aussi au constat que ce dernier reproduit certains écueils techno-centrés. L’initiation à la robotique ou aux imprimantes 3D semble en effet décalée par rapport aux attentes des Français en proie à l’illectronisme.

Sur ce motif, certains centres de formation ou jurys ont pu considérer que le titre était “inadapté” et que les critères d’évaluation pouvaient être assouplis. 10% des candidats se sont présentés en excluant unilatéralement deux des cinq fiches actions prévues par le référentiel d’évaluation.

Le titre professionnel de médiateur numérique élude certains enjeux “coeurs” à la médiation numérique

Par ailleurs, le titre professionnel ne prend pas en compte des enjeux clefs comme la mobilisation des publics bénéficiaires. On sait pourtant que de nombreux freins psychologiques et culturels barrent l’entrée dans les dispositifs de médiation.

Le titre ne prévoit pas non plus l’évaluation du caractère inclusif des pratiques vers les personnes les plus fragiles (situations de handicap, personnes vulnérables etc…)

Enfin, le titre ne permet pas de juger de capacités d’animation collectives. La médiation numérique telle qu’elle se déploie sur le terrain prend donc une tournure majoritairement individualisée… Une pratique qui peine à convaincre face au défi que représente 13 millions de Français en situation d’illectronisme.

Enfin, nombre de candidats disposaient d’une très faible culture numérique en dépit de la formation dispensée.

Le risque de « précarisation au carré » n’est-il pas devenu bien réel? Ne sommes nous pas de fait en train d’envoyer sur le terrain des illectronistes en charge d’accompagner d’autres illectronistes?

Face à ce constat, il n’apparaît pas évident que le cadre actuel de la certification des compétences professionnelles pose question.

Quelle solution pour armer correctement ces professionnels et dissiper le “malaise numérique » des Français pointé par l’ouvrage “Civilisation Numérique”?

Nous proposons ici d’explorer les voies d’un outillage plus inclusif, plus massifiant et plus capacitant.

II. Médiation Numérique : vers un dispositif d’appui en continu aux professionnels de terrain?

A) Proposer un service d’ingénierie pédagogique aux collectivités territoriales

Nombre de Conseillers Numériques peinent à trouver chez leur employeur, l’encadrement requis en ingénierie pédagogique et en analyse des pratiques, et en coaching.

C’est pourtant bien ces deux compétences d’encadrement qui sont nécessaires pour les accompagner vers une pratique capacitante.

C’est pourquoi nous proposons de développer un service d’appui en continu en ingénierie pédagogique et en analyse des pratiques, à destination des professionnels de terrain. Nous avons formulé la proposition à l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires.

B) Mettre sur pied des formations courtes mêlant pratique supervisée et culture

Dans la suite du rapport de l’ANCT sur la formation professionnelle, nous proposons de promouvoir des formations courtes et ciblées. Directement en lien avec le terrain, mêlant culture et pratique, elles devraient être rendues obligatoires une fois par an. 

D’une durée de 7 jours, elles permettront aux employeurs de laisser partir plus facilement leurs agents en formation.

À ce jour, le catalogue du CNFPT ne répond pas suffisamment aux enjeux d’une médiation numérique capacitante et inclusive. C’est autant un dialogue avec les organismes de formation qu’avec les OPCO qui permettrait d’impulser un tel mouvement.

C) Mener des études de terrain régulières pour conduire des études d’impact et des analyses comparative des pratiques

Des études d’impact comparatives permettraient de vraiment de distinguer les pratiques capacitantes de pratiques occupationnelles et de fournir du matériel à la recherche.

Nous avons la chance de disposer de scientifiques de renom mobilisés sur le sujet : sociologues, anthropologues des usages. Leur présence sur le terrain est devenu une priorité pour définir ce que sont des pratiques capacitantes.

Nous avons ainsi proposé d’emmener une délégation du Conseil National du Numérique pour initier cette démarche.

D) Avancer sur le sujet des standards de “capacitation” est un pré-requis à de nouvelles dépenses publiques

Ce travail d’étude et d’analyse comparative est indispensable pour déterminer ce qui constitue une pratique de médiation numérique impactante et inclusive.

Car aujourd’hui la recherche à une idée « méta » de ce que doit être la médiation numérique, mais pas une idée « terrain » de la manière dont les pratiques doivent se construire et évoluer pour atteindre ces objectifs.

III. Médiation numérique : tout reste à faire pour le concernement des élus.

A) Des études d’impact pour faire voir les effets de pratiques capacitantes

Les élus locaux sont aujourd’hui submergés par une somme de dispositifs complexes à mettre en oeuvre (Pass APTIC, CNFS, PIX, dispositifs France Num, BPI, Banque des Territoires, acteurs privés, etc…) et encore difficiles à articuler.

Or, c’est bien eux qui se retrouvent en première ligne sur ce sujet délégué par l’État.

Beaucoup d’élus voient pourtant l’inclusion numérique d’abord une politique sociale d’insertion et d’emploi local avant d’être une politique sociale d’émancipation. Cela explique des pratiques de « préférence locale » dans les financements et les mise en oeuvre, qui freine le passage à l’échelle d’acteurs structurant.

Par ailleurs, une partie des élus sont parfois eux-mêmes de rejet par rapport au numérique à l’image de leur population. Cela explique les freins psychologiques et culturels à mettre en place des politiques publiques d’inclusion numérique.

Il est donc crucial de commencer par sensibiliser les élus sur l’inclusion numérique sous peine de se voir ces freins psychologiques et culturels perdurer et amplifier les fractures sociales.

N’est-il pas ainsi nécessaire que les élus éprouvent eux-mêmes la capacitation culturelle et psychologique sur le numérique pour ensuite s’en faire le relai auprès de leur population?

L’AMF ou l’ADCF ne sont-il pas ainsi les mieux placés pour travailler à cette grande campagne de sensibilisation par une offre composée avec experts de la médiation numérique?

B) Donner enfin des objectifs qualitatifs objectivables aux médiateurs numériques

Nombre de médiateurs numérique se contentent d’évaluer leur action par un questionnaire déclaratif et assez subjectif, rempli en direct avec le bénéficiaire. Comment ainsi objectiver ces évaluations?

Nous proposons une évaluation à 3 mois après la sortie des ateliers. Elle nécessiterait d’aménager un peu PIX pour évaluer l’autonomie numérique. Quelle adhésion au numérique? Quelle culture et maîtrise des usage de base? Quelle faculté d’auto-apprentissage basée sur le triangle d’or de la logique, de la patience et de l’exploration?

Cela permettrait de proposer également des suites de parcours.

Ainsi, l’horizon ne serait plus strictement quantitatif (combien de personnes accompagnées?) mais bien qualitatif : quelle autonomisation réelle? 

Ce faisant, nous pourrions ainsi en finir avec approche purement financière (mettre plus d’argent public) ou technique (créer toujours plus de dispositifs), mais bien rentrer dans une approche humaine centrée sur l’émancipation de la personne.

C) Installer l’inclusion numérique dans le débat public

Enfin, en pleine élection présidentielle, il est marquant de noter que l’inclusion numérique est un débat absent, ce qui freine l’acculturation des élus locaux sur la question.

Le plaidoyer de la MedNum tente de combler cette lacune, mais il s’agit là d’un écueil puissant.

Cet écueil tient à la culture numérique de nos décideurs publics qui continuent à percevoir le numérique d’abord comme un sujet économique, et moins comme une question sociale, politique, philosophique, géopolitique, plus vaste.

Il est donc temps que les laboratoires d’idées s’emparent de ce sujet, pour éveiller nos décideurs publics à ce sujet.

IV. Médiation numérique : l’impératif d’une gouvernance partagée.

A) Une gouvernance partagée de la médiation numérique à inventer au national

Il manque aujourd’hui à la politique publique de l’inclusion numérique une gouvernance partagée entre les acteurs.

Si les NEC constituent une enceinte de débat public nécessaire, il manque encore une véritable enceinte de co-pilotage de cette politique publique. Le plan de relance en a été symptomatique. 

Cette gouvernance partagée devrait réunir les grands opérateurs nationaux d’inclusion numérique, les scientifiques spécialisés sur ce sujet, les autres services publics impliqués (ANCT, Pôle Emploi, CAF, Banque Publique, France Num, Banque des Territoires,  etc…) pour assurer une unité de vue.

Aujourd’hui, il devient aussi fondamental que l’AMF, l’ADCF, l’ADF, le CNFPT, la Banque des Territoires, et les opérateurs structurant de l’écosystème se retrouvent autour d’une plateforme commune pour travailler les sujets de fond d’éducation politique des élus à l’illectronisme et de formation des agents territoriaux. 

L’articulation des financements et des dispositifs est devenu un impératif pour avancer en ordre rangé.

Nous ne pouvons laisser État et collectivités territoriales, différents corps d’administration, différents guichets de financement développer une action insuffisamment coordonnée.

B) Une gouvernance territoriale de la médiation numérique à structurer et à clarifier

Aujourd’hui, nous continuons à constater une désarticulation entre les échelons territoriaux et nationaux.

Si l’ADCF avait souligné dès 2020 le besoin de structurer une gouvernance locale de l’inclusion numérique, où en est-on aujourd’hui? Où en sont les fameuses conférences des financeurs de l’inclusion numérique mentionnées dans le manifeste?

Chaque guichet de financement continue aujourd’hui d’y aller de son ingénierie pédagogique, de son formatage des actions, de ses modalités d’évaluation. Cette état de fait empêche les opérateurs de passer à l’échelle.

Par ailleurs, nous soulignons que les Hubs ne peuvent être juges et parties, c’est à dire opérateurs d’inclusion numérique et tête de réseaux en même temps.

Les Hubs doivent se recentrer sur l’évaluation, la structuration des filières territoriales, et en aucun cas devenir les syndicats d’influence de certains opérateurs ou organismes de formation. 

Si la médiation numérique s’est longtemps focalisée sur les logiques cartographiques, il est temps désormais de passer à la vitesse supérieure!

Conclusion : l’inclusion numérique, laboratoire de rénovation de l’action publique!

La logique de titre professionnel et de formation continue appuyée sur des centres de formation semble aujourd’hui impropre à répondre aux grands défis qui se posent à la médiation numérique au XXIème siècle.

C’est pourquoi nous proposons d’innover et de changer de méthode pour réussir là où la médiation numérique a échoué ces 30 dernières années.

Gouvernance partagée, service d’ingénierie pédagogique en continu pour les professionnels de terrain, analyse comparative des pratiques de médiation par la science, entrée de l’inclusion numérique dans le débat public, campagne massive de sensibilisation des décideurs publics sont autant de pistes pour faire de l’inclusion numérique, le laboratoire de la modernisation de l’action publique. 

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